Ondes de Rossby gyrales de longue période

Les ondes de Rossby océaniques impactent le climat en raison des anomalies thermiques qu’elles génèrent à la surface des océans pouvant entrainer des instabilités baroclines atmosphériques. Les ondes de Rossby de longue période (Pinault, 2018d) jouent un rôle particulier en raison de la puissante rétroaction positive sur le courant de bord ouest dont la vitesse est fortement impactée par le forçage solaire et orbital.

Sommaire

Forçage solaire et orbital

L’efficacité du forçage solaire et orbital résulte du déséquilibre entre les flux entrant et sortant au travers de la surface de l’océan. En l’absence de résonance des ondes de Rossby gyrales le flux entrant est équilibré essentiellement par l’évaporation. A contrario l’abaissement de la thermocline et l’accélération du courant radial convergent alors que l’intensité du forçage croît fait que l’onde de Rossby gyrale se comporte comme un puits de chaleur en raison du downwelling. Une demi-période plus tard, le soulèvement de la thermocline et l’accélération du courant radial divergent alors que l’intensité du forçage décroît fait que l’onde de Rossby gyrale restitue la chaleur accumulée : elle se comporte alors comme une source de chaleur en raison de l’upwelling. Le déséquilibre est d’autant plus grand que l’oscillation de la thermocline est plus ample, ce qui renforce la rétroaction positive agissant sur la vitesse du courant polaire en réduisant le gradient de température entre les basses et hautes latitudes du gyre.

Un quart de période avant le maximum de l’irradiance solaire, le courant polaire est anticyclonique. Le flux thermique transporté par le courant de bord ouest en direction des pôles favorise l’abaissement de la thermocline, donc l’accélération du courant polaire. La vitesse du courant polaire atteint son maximum à peu près en même temps que le maximum de l’irradiance solaire. Cette boucle de rétroaction positive augmente considérablement l’efficacité du forçage solaire et orbital. Dépendant elle-même  du gradient thermique entre les latitudes extrêmes du gyre, elle est donc fortement contrôlée par l’extension des calottes polaires.

Lorsque la résonance gyrale se produit, elle prend le pas sur les phénomènes non résonants. Comme cela se produit pour les longueurs d’onde plus courtes, la résonance détermine les forces géostrophiques à l’échelle du bassin et occulte les phénomènes non résonants dont l’impact est moindre, ceci en raison de la compétition entre phénomènes résonants et non résonants à l’échelle du gyre. Les phénomènes résonants absorbent le maximum d’énergie solaire car l’onde et le forçage sont synchronisés. Dans le cas contraire, au cours de son évolution l’onde se trouve nécessairement en opposition de phase avec le forçage et son amplitude est donc moindre. Puisqu’un seul mode peut subsister autour du gyre en raison de la grande longueur des ondes de Rossby gyrales qui impose les forces géostrophiques à l’échelle du bassin, il est nécessairement résonant.

L’accélération du courant polaire de l’onde de Rossby gyrale refroidit les courants tropicaux en réduisant leur temps de séjour aux basses latitudes. Mais il s’ensuit une augmentation du forçage radiatif, donc le  réchauffement global de la planète, suite à la réduction de l’écart de température entre les basses et hautes latitudes du gyre. Ceci a pour effet de réduire la puissance radiative émise qui est proportionnelle à la puissance quatrième de la température selon la loi de Stefan. A contrario, le ralentissement du courant polaire engendre un refroidissement de la planète en augmentant l’écart de température entre les hautes et basses latitudes.

Simulation des ondes de Rossby gyrales de 128 ans de période

Le fonctionnement des ondes de Rossby gyrales de longue période s’obtient en résolvant les équations du mouvement des ondes baroclines quasi-stationnaires de très grande longueur d’onde aux moyennes latitudes. La solution, c’est-à-dire les ventres ainsi que les courants modulés polaires et radiaux de l’onde de Rossby gyrale, est obtenue en appliquant l’approximation du cône β (Pinault, 2018d).

Cependant les équations du mouvement ne prennent pas en compte la boucle de rétroaction positive de l’oscillation de la thermocline et de la vitesse du courant polaire, ce qui conduit à sous-estimer l’amplitude de l’onde de Rossby gyrale : l’abaissement de la thermocline accélère le courant polaire lorsqu’il s’écoule de manière anticyclonique, donc le courant de bord ouest. Il s’ensuit un accroissement du flux thermique transporté depuis les tropiques en direction des pôles, ce qui abaisse davantage la thermocline.

Sur les trois vidéos qui suivent, les ventres des ondes de Rossby gyrales sont représentés ainsi que les courants polaires et radiaux : l’énergie thermique est emmagasinée dans le ventre de l’onde de Rossby gyrale sur une demi-longueur d’onde apparente (la longueur d’onde vue par un observateur immobile).

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Comme le montre la simulation dynamique de l’onde de Rossby gyrale, son enroulement autour du gyre correspond à une demi longueur d’onde apparente. Le ventre suivant, en opposition de phase par rapport au précédent, est extérieur au gyre et se dirige vers le pôle. De la sorte, les ventres et les nœuds sont communs à toutes les ondes de Rossby gyrales, quelle que soit leur période, à l’intérieur comme à l’extérieur du gyre.

Le ventre, qui est formé de deux renflements de part et d’autre de la ligne médiane du gyre, reste à peu près uniforme, tandis que le courant polaire accélère aux hautes latitudes, en raison de l’amincissement de la couche de mélange. Le courant radial a la même propriété. Le ventre est en quadrature par rapport au forçage, étant un quart de période en retard. Le courant polaire est en phase avec le ventre lorsqu’il s’écoule de manière cyclonique et les courants radiaux sont en phase avec le forçage quand ils convergent vers la ligne médiane du gyre.

Réponse modulée des gyres subtropicaux

Peu d’études ont examiné la réponse modulée des gyres subtropicaux. C’est que ces gyres subtropicaux sont généralement considérés dans un état stationnaire, avec une intensification du courant de bord ouest, conformément aux théories de Sverdrup (1947), de Stommel (1948) et de Munk (1950). Selon cette théorie les gyres subtropicaux résultent de la recirculation inertielle (accélérée par la seule force de Coriolis) poussée par le vent, les vents d’ouest aux latitudes moyennes et les alizés aux basses latitudes, c’est à dire qu’ils doivent leur existence aux seuls courants entraînés par le vent. Le centre d’un gyre subtropical est en effet une zone de haute pression. La circulation autour de la haute pression tourne dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord et dans le sens inverse dans l’hémisphère sud, du fait de la force de Coriolis. La remontée d’eau au centre du gyre crée un flux vers l’équateur qui repart vers les pôles dans le courant de bord ouest (voir Transport d’Ekman).

Cependant, les observations des ondes de Rossby de courte période où les courants de bord ouest quittent les continents pour entrer dans le gyre, qui font partie de la circulation méridionale de retournement, ainsi que les ondes de Rossby de longue période autour du gyre résultant de la variation de l’effet Coriolis avec le rayon moyen du gyre suggèrent un rôle clé de la réponse modulée des gyres dans la circulation océanique générale (Pinault, 2018d).

Les gyres subtropicaux réagissent à différents effets de forçage qui sont de deux types selon la période avec laquelle ils modifient l’équilibre de Sverdrup. Les effets du forçage de courte période résultent de la variation des masses d’eau chaude transportées par les courants de bord ouest, ce qui entraîne l’oscillation de la thermocline aux latitudes moyennes des gyres. Des ondes de Rossby baroclines, qui se propageant vers l’ouest, sont formées, entraînées par le courant poussé par le vent. Ces effets dus au forçage sont hérités des océans tropicaux. Les effets du forçage de longue période résultent des cycles solaires et orbitaux. Les perturbations thermiques, bien que très faibles, sont fortement amplifiées en raison de la rétroaction positive s’exerçant sur les ondes de Rossby baroclines.

La vitesse de la circulation stationnaire entraînée par le vent, anti-cyclonique, étant supérieure à la vitesse de phase cyclonique des ondes de Rossby, les effets du forçage sont amplifiés, causés par une rétroaction positive s’exerçant sur les ondes baroclines: le réchauffement des eaux de surface aux latitudes moyennes approfondit la thermocline autour du gyre, ce qui accélère le courant géostrophique modulé – ce courant, résultant de la rotation de la terre et des forces de gravité, est proportionnel et en phase avec l’oscillation de la thermocline – augmentant ainsi l’advection de la chaleur au niveau du pôle par le courant de bord ouest. Ainsi, la thermocline s’approfondit davantage, d’où une boucle de rétroaction positive.

Plusieurs ondes de Rossby gyrales de différentes périodes peuvent cohabiter, ce qui confère aux gyres subtropicaux une propriété remarquable qui les distingue des vortex plus petits. En partageant le même courant modulé là où les courants de bord ouest quittent les continents pour entrer à l’intérieur des gyres subtropicaux, ces ondes de Rossby gyrales sont couplées. Par conséquent, comme cela se produit dans le cas général des oscillateurs couplés avec inertie, elles sont soumises à un verrouillage en mode subharmonique, ce qui confère au système dynamique une stabilité optimale (Pinault, 2018c). Des phénomènes de résonances peuvent alors survenir lorsque la période des ondes de Rossby gyrales de grande longueur d’onde est proche de la période des cycles solaires et orbitaux.

Les périodes des ondes de Rossby gyrales sont des nombres entiers d’années qui se déduisent par récurrence (voir Propriétés des ondes de Rossby  gyrales). Aux longues périodes correspond un nombre entier de tours effectué par l’onde de Rossby gyrale autour du gyre (de manière anticyclonique) pendant une demi-période. Ce nombre de tours est le mode subharmonique. Pour la période de 128 ans l’onde de Rossby gyrale parcourt 2 tours sauf dans le Sud Pacifique où il est de 1 et le sud de l’Océan indien où il est de 3/2.

En théorie, la longueur d’onde du premier mode barocline, premier mode (méridien) radial de l’onde de Rossby n’a pas de limite supérieure. Supposons que la moyenne des écarts (en valeur absolue) du pouvoir radiatif résultant de l’irradiance solaire ne dépende pas de la période. Alors la durée du chauffage / refroidissement pendant une demi-période de la couche de mélange autour du gyre augmente avec la période. Ceci compense l’amortissement des ondes dû au frottement de Rayleigh lorsque la période augmente, les deux étant proportionnels à la période mais avec des effets antagonistes. Ainsi, pour des conditions exogènes fixées, l’amplitude des ondes de Rossby de longue période ne dépend pas de la période.

Ainsi, la réponse modulée des gyres subtropicaux suscite un intérêt considérable puisqu’elle ouvre un nouveau domaine à étudier: les ondes baroclines de longue période ont un rôle clé dans la formation et la stabilité des gyres subtropicaux, dans le transport du volume total et le changement brutal dans La vorticité potentielle des courants de bord ouest, la variabilité du climat à moyen et long-terme (voir Holocène, Aire glaciaire-interglaciaire), ainsi que la température globale Tmg décomposée en une composante ‘naturelle’ et anthropique.

Changement de vorticité

D’un point de vue conceptuel la réponse modulée des gyres subtropicaux a une importance considérable car elle permet d’expliquer le changement abrupt de la vorticité des courants de bord ouest au large des côtes (Pinault, 2018d). Ce phénomène, qui va se confirmer pour des périodes plus longues, permet de résoudre une énigme qui perdure depuis les travaux de l’océanographe et météorologiste norvégien Harald Ulrik Sverdrup (1888-1957) dont la théorie basée sur la formation des courants de surface sous l’effet de la tension des vents n’explique que partiellement le fonctionnement des gyres subtropicaux. En particulier elle ne s’applique pas au changement de vorticité des courants de bord ouest lorsqu’ils fusionnent avec les gyres subtropicaux ou, au contraire, lorsqu’ils s’en écartent pour migrer vers les pôles comme le font les courants de dérive dans l’hémisphère nord, ou les courants circumpolaires dans l’hémisphère sud. En effet tout résonnement supposant un comportement purement inertiel (accéléré par la seule force de Coriolis) du gyre est incomplet car il doit impliquer la réponse modulée des gyres subtropicaux et les forces géostrophiques associées (combinaison de la force de Coriolis et de la gravité) autour des gyres.

Les théories de Sverdrup (1947) et Stommel (1948) n’expliquent pas davantage l’importance du débit  des courants de bord ouest, qui ne peut se comprendre qu’en faisant intervenir la réponse modulée des gyres subtropicaux. Qu’il s’agisse du changement de la vorticité ou du débit du courant de bord ouest des tentatives d’explication ont été données depuis les travaux pionniers de Sverdrup, mais de manière peu convaincante.

Stabilité des ondes de Rossby gyrales

La résonance gyrale ne peut se produire que si la vitesse du courant stationnaire entraîné par le vent (anticyclonique) est supérieure à la vitesse de phase de l’onde de Rossby (cyclonique). Pour ce qui concerne les ondes de Rossby gyrales de courte période, la longueur de l’onde de Rossby s’adapte pour que sa période propre coïncide avec la période de forçage. Le problème de stabilité se pose pour les ondes de Rossby gyrales de longue période en raison de leur verrouillage en mode subharmonique (Pinault, 2018c). Leur période propre étant ainsi imposée, elle ne coïncide généralement pas avec la période de forçage.

Des phénomènes de régulation, faisant intervenir essentiellement la latitude moyenne du gyre dont le rôle dans l’accord entre l’onde de Rossby et le forçage est essentiel (une diminution de la latitude moyenne de 0,1°, soit 11,1 km, engendre une augmentation de la circonférence du gyre de l’Atlantique Nord de 122 km), maintiennent les conditions de la résonance en dépit des variations des vents (dont l’impact sur la circulation est faible vues les périodes en jeu) mais surtout des variations de la période des oscillations de l’irradiance solaire.

Verrouillage en mode subharmonique des oscillateurs inertiels couplés

Lorsque des ondes quasi-stationnaires baroclines ont en commun le courant modulé de sortie ou d’entrée selon qu’il s’agit d’ondes tropicales ou subtropicales, un verrouillage en mode subharmonique se produit (Pinault, 2018c). Dans ce cas les périodes de ces ondes quasi-stationnaires, que l’on peut assimiler à des oscillateurs couplés, sont des multiples de la période de l’onde fondamentale, c’est-à-dire une année car les ondes annuelles ont la même période que les alizés qui constituent le moteur principal du forçage des ondes baroclines quasi-stationnaires équatoriales et subtropicales.

Les modes subharmoniques des ondes forcées résonantes peuvent être déduits de l’équation de l’oscillateur de Caldirola-Kanai (CK), qui est un modèle fondamental de systèmes dissipatifs pour l’oscillateur harmonique amorti. L’Hamiltonien (l’énergie) d’un oscillateur CK étant dépendant du temps, des modes subharmoniques apparaissent lorsque le système oscillatoire est périodique, chaque oscillateur transférant autant d’énergie d’interaction à tous les autres qu’il en reçoit pendant une période. C’est une condition requise pour assurer la pérennité du système dynamique en régime stationnaire.

Les principales périodes propres des ondes tropicales sont 4 et 8 ans, celles des ondes de Rossby gyrales couplées avec les cycles solaires sont 64 a (considérée comme un harmonique de 128 ans), 2×64=128 a, 2×128=256 a, 3×256=768 a enfin celles des ondes de Rossby gyrales couplées avec les cycles orbitaux sont 32×768=24,6 Ka, 2×24,6=49,2 Ka, 2×49,2=98,3 Ka et 4×98,3=393,2 Ka. Les bandes utilisées pour calculer l’intensité du forçage encadrent ces périodes propres en fixant la borne inférieure à 0.75 x période et la borne supérieure à 1,5 x période.

La résonance des ondes de Rossby gyrales de longue période

Pour des périodes excédant 8 ans, la longueur des ondes de Rossby forcées résonantes dépasse la largeur des océans aux latitudes moyennes, de sorte que les ondes de longue période se développent nécessairement autour des gyres subtropicaux. Le gyre de l’Atlantique Nord permet d’estimer l’anomalie thermique de surface pour des périodes s’étendant jusqu’à 128 ans de manière relativement précise car des mesures de température de l’eau de mer se faisaient déjà en 1870 de manière systématique, ce qui n’est pas vrai pour les autres gyres.

Comme pour les courtes périodes l’onde de Rossby barocline suit le gyre subtropical depuis la limite ouest du bassin tout en modifiant la vorticité potentielle du courant de bord ouest pour lui permettre d’entrer dans le gyre. De nouveau, la résonance gyrale des ondes de Rossby nécessite que la vitesse du courant stationnaire du gyre entraîné par le vent, qui est anticyclonique, soit supérieure à la vitesse de phase de l’onde de Rossby qui, elle, est cyclonique. Celle-ci reste constante autour du gyre car ne dépendant que de la latitude moyenne du gyre.

Le courant géostrophique modulé est non divergent. Plusieurs spires peuvent se superposer, ce qui entraîne que la longueur d’onde de Rossby n’a pas de limite supérieure. En d’autres termes, le premier mode barocline, premier mode radial des ondes de Rossby de longue période peut résonner à des latitudes moyennes, en s’accordant avec les cycles solaires de longue période.

Supposons que le nombre de spires correspondant à une demi-longueur d’onde apparente (la longueur d’onde vue par un observateur immobile) soit N. Au cours d’une période une phase de réchauffement se produit pendant laquelle l’eau chaude s’accumule le long des spires qui se superposent, suivie d’une phase de refroidissement au cours de laquelle l’eau chaude quitte le gyre. La résonance gyrale ne peut se produire en effet que si un ventre se développe en dehors du gyre, en opposition de phase avec le ventre autour du gyre, comme ceci a lieu pour les courtes périodes. Il s’ensuit que, pour résonner, l’onde de Rossby gyrale doit être telle qu’un nombre entier N de spires corresponde à une demi-longueur d’onde apparente. Pour le gyre Nord Atlantique, = 2 pour la période de 128 ans, ce qui permet l’excitation de l’harmonique de 64 ans de période (un seul enroulement).

Au cours de son évolution le gyre subit une transformation radiale. Pendant la phase de réchauffement les deux bords du gyre convergent vers la ligne de courant médiane, alors que l’onde de Rossby est maintenue autour du gyre. Par contre, au cours de la phase de refroidissement le mouvement s’inverse alors que l’onde quitte le gyre.

De cette manière la résonance des ondes de Rossby de longue période est similaire à celle de 4 et 8 ans de période pour laquelle les ventres sont séparés d’une demi-longueur d’onde, en raison de l’adéquation entre la longueur d’onde de Rossby et la période. Les ondes de Rossby gyrales partageant le même nœud là où le courant de bord ouest quitte la côte pour se fondre avec le gyre subtropical, un  verrouillage en mode subharmonique se produit, si bien que les périodes moyennes des ondes couplées sont des multiples des courtes périodes (Pinault, 2018c).

Anomalies thermiques de surface au cours des phases de réchauffement et de refroidissement

Se rapportant aux anomalies thermiques de la surface des océans, les échanges océan-atmosphère résultent pour l’essentiel du flux de chaleur latente. L’impact sur le climat de ces anomalies de température de surface de la mer qui stimulent ou, au contraire, réduisent l’évaporation est considérable car elles engendrent des instabilités baroclines pouvant conduire à la formation de systèmes cycloniques ou au contraire anticycloniques de l’atmosphère.

L’impact direct des variations de l’irradiance solaire sur la température de surface des océans serait faible si les ondes de Rossby gyrales n’entraient pas en résonance. Dans ce cas, il y aurait équilibre entre les flux thermiques entrant et sortant au travers de la surface de l’océan (en première approximation, si l’on ignore les flux portés par les courants océaniques) et, en l’absence d’anomalie thermique de surface, l’efficacité du forçage serait de l’ordre de 0,1 °C(W/m2)-1. Or celle-ci est bien supérieure, de l’ordre de 1,0 °C(W/m2)-1 dans les conditions qui prévalent depuis quelques milliers d’années.

Comme le montre la représentation dynamique de l’Atlantique nord, les anomalies thermiques de surface observées dans la bande 96-144 ans sont révélatrices d’un déséquilibre entre les flux entrant et sortant au travers de la surface de l’océan. D’après les équations du mouvement l’oscillation de la thermocline des ondes baroclines est en quadrature par rapport au forçage. L’abaissement de la thermocline accélère le courant de bord ouest ce qui, de ce fait, réduit le gradient de température entre les basses et hautes latitudes. En retour, l’augmentation du flux thermique de l‘équateur vers les pôles tend à abaisser davantage la thermocline. Cette rétroaction positive induit un phénomène d’amplification de l’oscillation de la thermocline. L’accélération du courant polaire stimule l’upwelling au large du bord est du bassin où les lignes de courant se resserrent, c’est à dire le Courant des Canaries dans le Nord Atlantique, le Courant Benguela dans le Sud Atlantique, le Courant Ouest Australien dans le Sud de l’Océan Indien, le Courant de Californie dans le Nord Pacifique,et le Courant du Pérou (Humboldt) dans le Sud Pacifique, par effet de pompage vertical, sans modification significative de la vorticité. Le refroidissement du courant polaire compense le réchauffement du courant de bord ouest dû à son accélération, ce qui empêche tout effet d’emballement résultant de la rétroaction positive.

En raison de ces effets  l’anomalie thermique de surface peut être en retard par rapport au forçage, ce qui se produit dans la partie septentrionale et méridionale du gyre. Par ailleurs l’anomalie thermique de surface extérieure au gyre, qui atteint 0,10°C, est en opposition de phase par rapport à l’anomalie autour du gyre.

Le fonctionnement des ondes de Rossby gyrales de longue période se déduit des équations du mouvement.

Résumé : propriétés des ondes de Rossby gyrales

La résonance gyrale permet d’expliquer la variabilité du climat à différentes échelles de temps avec précision. Les caprices du climat trouvent en effet une explication convaincante en invoquant les propriétés des ondes de Rossby gyrales de très grande longueur, forcées de manière résonance à partir des variations de l’irradiance solaire.

Pour reprendre les principales propriétés des ondes de Rossby gyrales:

  • Les ondes de Rossby gyrales cycloniques non dispersives et forcées par les variations solaires et orbitales, sans action du vent, nécessitent que leur vitesse de phase soit inférieure à la vitesse du courant anticyclonique mû par le vent dans lequel elles sont entrainées, à la latitude critique où le courant de bord ouest quitte le continent pour entrer dans le gyre subtropical. Les vitesses des courants polaires et radiaux géostrophiques modulés sont proportionnelles à h, c’est-à-dire à l’amplitude de l’oscillation de la thermocline résultant du premier mode barocline, premier mode méridien des ondes de Rossby autour des gyres
  • L’oscillation de la thermocline est soumise à une boucle de rétroaction positive dans laquelle les effets d’une petite perturbation induisent une augmentation de l’amplitude de l’oscillation. En effet, l’accélération du courant polaire augmente le réchauffement du courant de bord ouest qui transfère plus rapidement l’eau chaude des basses aux hautes latitudes. Ainsi, une amplification se produit, limitée par la capacité de l’eau de mer à se réchauffer aux basses latitudes et par le refroidissement résultant de l’upwelling le long des courants à la limite orientale des gyres.
  • Les ondes de Rossby gyrales multifréquences sont superposées. Partageant les mêmes courants polaires, elles sont couplées. Par conséquent, un verrouillage en mode subharmonique se produit, ce qui signifie que les périodes moyennes des ondes de Rossby gyrales sont déduites par récurrence, la période d’ordre n étant un multiple de la période d’ordre n-1 (Pinault, 2018c). Les ondes de Rossby gyrales sont donc caractérisées par un nombre de révolutions, qui n’est autre que leur mode subharmonique, et qui correspond à la moitié de leur longueur d’onde apparente.
  • Lorsque la période des ondes de Rossby gyrales augmente, le frottement de Rayleigh est compensé par l’augmentation du nombre d’enroulements autour du gyre de sorte que l’amplitude des ondes de Rossby gyrales ne s’annule pas. Cette propriété remarquable permet d’accorder les ondes de Rossby gyrales au forçage sur de très longues périodes comme c’est le cas pour les variations orbitales de la Terre, sans atténuation.
  • L’efficacité de la boucle de rétroaction positive est améliorée lorsque la température baisse aux hautes latitudes du gyre, ce qui dépend fortement de l’emplacement du front de la banquise.
  • Le forçage résonant des ondes de Rossby gyrales nécessite que leurs fréquences propres puissent être finement ajustées aux fréquences du forçage solaire et orbital en déplaçant le centroïde des gyres le long d’un méridien. Plusieurs périodes propres des ondes de Rossby gyrales peuvent être accordées à différentes périodes de forçage lorsqu’elles sont suffisamment proches.

Ainsi, l’intérêt suscité par la réponse modulée des gyres subtropicaux (Pinault, 2018d), qui a été ignorée jusqu’ici bien qu’étayée à la fois par les observations et la théorie, est prometteur en océanographie physique (le transport volumique total des courants de bord ouest, le brusque changement de leur vorticité potentielle aux latitudes critiques, la circulation océanique globale) et la variabilité climatique à long et à très long terme tout en complétant les théories actuelles.

Glossaire

On distingue trois zones de circulation des vents entre l’équateur et les pôles:

1) la zone de Hadley qui se situe entre l’équateur et 30 degrés N et S où l’on retrouve des vents réguliers soufflant du nord-est dans l’hémisphère nord et du sud-est dans celui du sud: les alizés

2) les latitudes moyennes sont caractérisées par des systèmes dépressionnaires transitoires sous une circulation d’altitude généralement d’ouest, c’est la cellule de Ferrel

3) les cellules polaires se retrouvent respectivement au nord et au sud des 60-ièmes parallèles nord et sud avec une circulation de surface généralement d’est

Dans un milieu homogène, la propagation dans une direction donnée d’une onde monochromatique (ou sinusoïdale) se traduit par une simple translation de la sinusoïde à une vitesse appelée vitesse de phase ou célérité. Dans un milieu non dispersif, cette vitesse ne dépend pas de la fréquence (ou de la longueur d’onde). Dans ce cas toute onde complexe somme de plusieurs ondes monochromatiques subit aussi une translation globale de son profil, ceci sans déformation. Au contraire, dans un milieu dispersif la vitesse de phase dépend de la fréquence et l’énergie transportée par l’onde se déplace à une vitesse inférieure à la vitesse de phase, dite vitesse de groupe.

Transport d’Ekman

Le courant résulte de la friction du vent, c’est-à-dire du pompage d’Ekman. Il a été formulé en 1902 par l’océanographe suédois Vagn Walfrid Ekman (1874-1954) après avoir observé avec Fridtjof Nansen que les icebergs ne dérivent pas dans la direction du vent mais selon un angle de 20 à 40 °. Le transport d’Ekman met en mouvement les couches d’eaux de surface horizontalement. Mais la force de Coriolis dévie le mouvement vers la droite dans l’hémisphère nord et vers la gauche dans l’hémisphère sud. Ce mouvement se propage vers le bas en raison de la viscosité et la matière est transportée dans une direction différente de l’axe du vent. Selon la direction des vents, il y a divergence ou convergence de matière, ce qui crée deux situations, le pompage et la ventilation.

Le pompage d’Ekman est le transport vers le haut des eaux de mer sous l’effet d’une dépression. Sous l’effet du vent, l’eau de la couche de mélange est mise en mouvement et déviée par la force de Coriolis vers l’extérieur de la dépression. Cela crée donc une divergence. Au contraire, dans un anticyclone, le transport d’Ekman se fait vers le centre du système, ce qui crée une convergence de matière et le transport vers le bas.

Une onde stationnaire est le phénomène résultant de la propagation simultanée dans des directions différentes de plusieurs ondes de même fréquence. Une onde stationnaire forme une figure dont certains éléments appelés nœuds restent fixes, alternant avec les ventres. Une onde quasi-stationnaire se comporte comme une onde stationnaire mais les ventres et les nœuds peuvent se chevaucher.

L’onde quasi-stationnaire fondamentale est en phase avec le forçage. Dans les tuyaux sonores, les cordes et les membranes vibrantes se forment des harmoniques dont la période est un diviseur de celle de l’onde fondamentale. Pour ce qui concerne les longues vagues océaniques, il se forme des subharmoniques dont la période est un multiple de celle de l’onde fondamentale comme ceci se produit pour les modes baroclines d’ordre élevé.

Upwelling. Ici, ce terme indique une remontée d’eau profonde, donc froide. Le phénomène d’upwelling est associé au fonctionnement des ondes résonantes tropicales.

Onde barocline. Par opposition aux ondes barotropes qui se meuvent parallèlement aux isothermes les ondes baroclines de Rossby ou de Kelvin provoquent un déplacement vertical de la thermocline, souvent de l’ordre de plusieurs dizaines de mètres. Les secondes sont généralement plus lentes que les premières.

Le paramètre de Coriolis f est égal à deux fois la vitesse de rotation de la terre Ω multipliée par le sinus de la latitude φ: f = 2Ωsin φ. La force de Coriolis, quant à elle, agit perpendiculairement à la direction du mouvement du corps en déplacement. Elle est proportionnelle à la vitesse du corps ainsi qu’à la vitesse de rotation du milieu.

Les courants géostrophiques sont établis à partir des mesures du vent, de la température ainsi que de l’altimétrie par satellite. Le calcul utilise un modèle géostrophique quasi-stationnaire tout en intégrant une composante résultant de la tension des vents. Le courant géostrophique ainsi obtenu est moyenné sur les 30 premiers mètres de l’océan.

Les boucles de rétroaction positives amplifient les modifications d’un système dynamique; cela tend à éloigner le système de son état d’équilibre et à le rendre plus instable. Les rétroactions négatives ont tendance à amortir les modifications; cela tend à maintenir le système dans un état d’équilibre le rendant plus stable.

L’instabilité barocline tire son énergie de la part de l’énergie potentielle disponible à convertir. L’énergie potentielle disponible dépend du gradient de température horizontal. Les conversions d’énergie sont proportionnelles aux flux thermiques perturbés horizontaux et verticaux qui, dans le cadre de cet article, sont liées aux anomalies thermiques océaniques résultant de la résonance d’ondes baroclines. Un gradient de température horizontal implique la présence d’un cisaillement vertical. L’instabilité barocline est donc également une instabilité du cisaillement vertical.

Les équations du mouvement des ondes baroclines supposent que l’eau de mer est non visqueuse. Ces ondes sont soumises au seul amortissement de Rayleigh, la dissipation étant proportionnelle au temps.

Références

Munk, W. H. On the wind-driven ocean circulation, J. Meteorol., Vol. 7,1950

Stommel, H., The westward intensification of wind-driven ocean currents, Trans. Amer. Geophys. Union, 1948, 29, 202-206.

Sverdrup, H.U., Wind-Driven Currents in a Baroclinic Ocean; with Application to the Equatorial Currents of the Eastern Pacific, Proc. Natl. Acad. Sci., 1947, 33, 318-326.

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