Océan Indien tropical

Au même titre que les océans Atlantique et Pacifique, le fonctionnement de l’océan Indien tropical (Pinault, 2019) est assujetti au forçage résonant des longues vagues, conduisant à l’introduction dans le seul courant de bord ouest, l’Agulhas, d’eaux chaudes et froides de manière alternée et selon une fréquence bien déterminée. L’océan Indien tropical est donc impliqué de la même manière que les autres océans dans la résonance des longues vagues aux latitudes moyennes conduisant au forçage du gyre océanique subtropical. Mais il a deux particularités, sa fermeture au nord, qui s’oppose à tout courant de bord ouest coulant vers le nord, et son ouverture sur l’océan Pacifique, à l’est, qui produit le courant traversant indonésien, système de courants de surface s’écoulant du Pacifique à l’océan Indien à travers les mers indonésiennes. De cette manière, l’océan Pacifique influence l’océan Indien, dans la région s’étendant de 17,5°S à 7,5°S en particulier, en raison de la propagation des ondes de Rossby du Pacifique occidental à l’Océan Indien. Le courant traversant indonésien joue un rôle important dans le transport de chaleur et dans le système climatique, mettant en relation les eaux chaudes de la piscine du Pacifique occidental et les eaux froides du Courant Sud Equatorial de l’océan Indien.

Sommaire

Ondes de Rossby et de Kelvin quasi-stationnaires

Une autre caractéristique du bassin tropical est que sa largeur, qui est de 6.300 km entre la côte orientale de l’Afrique et la côte occidentale de Sumatra, est proche de la moitié de la longueur d’onde de Rossby de fréquence biannuelle, qui est de 12.100 km. Considérant le premier mode barocline, le temps de transfert d’une onde de Rossby et de l’onde de Kelvin en retour est à peu près les deux tiers de la période pour faire un aller-retour le long de l’équateur, ce qui autorise l’accord de la période propre et de la période de forçage en raison de la réponse différée de l’onde quasi-stationnaire au ventre occidental.

L’océan Indien subit un phénomène comparable à El Niño, qui est une oscillation irrégulière des températures de surface dans laquelle la partie occidentale de l’océan devient alternativement plus chaude et plus froide que la partie orientale, formant un dipôle (IOD Indian Ocean Dipole en anglais). Lorsque le dipôle est positif des anomalies thermiques sont observables dans la partie occidentale du bassin, ce qui induit une augmentation des précipitations en Afrique de l’est ainsi qu’une mousson indienne supérieure à la normale. Un refroidissement se produit alors dans la partie orientale du bassin, qui a tendance à provoquer des sécheresses en Indonésie et en Australie. Lorsque le dipôle est négatif les conditions sont inversées, avec des eaux chaudes et une augmentation des précipitations dans l’océan Indien oriental, et des conditions plus froides et plus sèches à l’ouest.

Toutefois, là encore, le fonctionnement de l’océan Indien tropical ne peut être compris de manière satisfaisante sans faire intervenir le forçage résonant des longues vagues océaniques. Ceci concerne l’IOD, bien entendu, mais également le Somali, courant modulé qui longe la côte orientale de l’Afrique à hauteur de la Somalie. Deux ondes quasi-stationnaires de grande longueur peuvent être mises en évidence, une onde équatoriale biannuelle qui est la superposition d’une onde de Kelvin et d’une onde de Rossby, et une onde de Rossby annuelle hors de l’équateur. Cette dernière se propage à travers l’océan Indien depuis la sortie du passage de Timor à 120°E en suivant le Courant Sud Equatorial. Elle est déviée vers le nord à l’approche de la limite ouest de l’océan Indien, suit le Somali puis le courant de dérive de mousson, évite le sous-continent indien au sud du Sri Lanka pour longer les côtes de la baie du Bengale.

L’onde biannuelle

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L’onde quasi-stationnaire biannuelle oscille de la partie occidentale du bassin à sa partie orientale, l’équateur jouant le rôle de guide d’onde, comme le montre l’amplitude et la phase de londelette croisée des mesures altimétriques. La composante géostrophique du courant zonal modulé, qui est le Contre-Courant Equatorial, circule de préférence vers l’est entre les longitudes 50°E et 90°E mais peut s’inverser. Cette inversion fait qu’au cours d’un cycle des échanges ont lieu entre le ventre occidental et le ventre oriental.

L’onde quasi-stationnaire est la superposition d’une onde de Rossby se dirigeant vers l’ouest et d’une onde de Kelvin dans la direction opposée, l’une et l’autre se réfléchissant sur les limites du bassin que sont la côte orientale de l’Afrique équatoriale d’une part, Malacca et Sumatra d’autre part. Le ventre occidental forme une crête en Mars et Septembre, le ventre oriental en Mai et Novembre, d’où une légère asymétrie de la durée des transferts entre l’est et l’ouest du bassin tropical en raison de la différence de vitesse de phase des ondes de Rossby et de Kelvin. La vitesse du courant modulé est maximale en Mai et Novembre lorsqu’elle est dirigée vers l’est, c’est à dire qu’elle est en phase avec le ventre oriental. Le mode de bassin qui en découle est accordé sur les vents de mousson.

Evolution de l’onde quasi-stationnaire biannuelle

Les ondes équatoriales quasi-stationnaires sont la superposition du premier mode barocline des ondes de Kelvin et du premier mode barocline, premier mode méridien des ondes de Rossby. Au cours de la phase de propagation vers l’est, de l’eau chaude est transférée du ventre occidental vers le ventre oriental où elle quitte partiellement le bassin pour rejoindre les courants de limite est tandis que l’eau froide remplace l’eau chaude à l’ouest du bassin par stimulation de l’upwelling au large de la côte orientale de l’Afrique, induisant la remontée de la thermocline. Cette phase, pendant laquelle l’upwelling au large des côtes de Sumatra est réduit, se termine au printemps ou à l’automne.

Le Contre-Courant Equatorial, qui s’écoule préférentiellement vers l’est, voit sa vitesse augmenter au printemps et à l’automne: l’onde de Kelvin se reflète contre la côte occidentale de l’archipel indonésien, formant des ondes côtières qui se propagent vers les pôles.

Au cours de l’été et de l’hiver, le courant modulé disparaît ou s’inverse. L’eau chaude remplace l’eau froide au ventre occidental tandis que l’upwelling est renforcé le long de la côte de Sumatra, ce qui provoque la remontée de la thermocline.

Au cours d’une période la couche de mélange, chaude, est donc advectée du ventre occidental où elle se forme vers le ventre oriental. Selon la géostrophie de l’océan tropical, l’advection peut également s’effectuer en sens inverse, lorsque le courant modulé s’inverse. Ainsi, le mode de bassin biannuel induit le transfert de chaleur entre les parties occidentale et orientale de l’océan Indien tropical tout en stimulant ou réduisant l’upwelling aux limites de bassin.

En raison de l’inversion saisonnière des vents de mousson, le forçage se produit principalement au ventre oriental et au sud de l’Inde. Les vents de nord-ouest atteignent leur maximum en Avril-Mai et Octobre-Novembre, et s’inversent en Mars et Septembre, en phase avec le ventre oriental. Ainsi, le mode de bassin biannuel apparaît comme la réponse de l’océan tropical au forçage résonant induit par l’inversion saisonnière des vents de mousson.

L’onde annuelle

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Contrairement à l’onde équatoriale biannuelle et ses subharmoniques, l’onde quasi-stationnaire annuelle a un rôle moteur dans la circulation du courant de bord ouest, qui est ici l’Agulhas se propageant vers le sud. De cette manière elle intervient dans la variabilité du climat à long terme au même titre que les ondes quasi-stationnaires des océans tropicaux Atlantique et Pacifique.

Deux ventres principaux formés par des ondes de Rossby sont visibles dans l’un et l’autre des deux hémisphères. Le ventre le plus méridional s’étend vers l’ouest à partir du passage de Timor, à la longitude 80°E, en suivant d’abord le courant traversant indonésien, puis le Courant Sud Equatorial. Le ventre le plus septentrional suit le courant de dérive de mousson du sud-ouest au large de la côte orientale de l’Afrique, au sud de la mer d’Oman, jusqu’à la pointe sud du sous-continent indien. Moins étendus, des ventres se développent le long des côtes de la baie du Bengale. A l’est ils sont formés à partir des ondes de Kelvin côtières, comme en témoigne le changement de phase au nord de la baie.

Trois nœuds principaux sont reconnaissables. Au sud se trouve le Courant Sud Equatorial entre le passage de Timor et la longitude 60°E, à l’ouest le Somali, courant qui suit la côte orientale africaine, au nord le courant de dérive de mousson du nord-est qui est surtout visible au sud du sous-continent indien. Au sud de la côte de Java le Courant Sud Equatorial s’écoule essentiellement vers l’ouest, disparaissant périodiquement, alors que le Somali et le courant de dérive de mousson s’inversent.

Evolution de l’onde quasi-stationnaire annuelle

L’onde de Rossby annuelle se forme à la sortie du passage de Timor pour traverser l’océan Indien; une fois déviée par la côte orientale africaine, l’onde de Rossby se propage vers l’est dans l’hémisphère nord, jusqu’à rejoindre le courant de dérive de mousson, les côtes du sud de l’Inde et du Sri Lanka agissant comme un guide d’onde. La propagation de l’onde dans l’hémisphère nord résulte de l’effet Doppler lorsque la vitesse du courant s’écoulant vers l’est est supérieure à la vitesse de phase de l’onde de Rossby s’écoulant vers l’ouest. Lorsque la phase s’inverse l’onde de Rossby se propage vers l’ouest, le Somali le long de la côte de la Somalie s’inverse également, une partie de ce courant quittant l’océan tropical pour alimenter le courant de bord ouest le long de la côte orientale de Madagascar ainsi que la côte du sud-est de l’Afrique pour former le courant du Mozambique.

Les ventres font apparaître un basculement nord-sud des eaux chaudes de l’océan tropical. En provenance du Pacifique elles s’accumulent pendant l’été boréal pour former le ventre sud, alors que, en raison de l’upwelling qui est stimulé dans le golfe du Bengale ainsi que dans la mer d’Oman, des eaux froides occupent la partie septentrionale du bassin. Au printemps le phénomène s’inverse, les eaux chaudes s’accumulant au nord du bassin. L’upwelling s’affaiblit au même titre que le Courant Sud Equatorial; l’inversion des courants de mousson favorise le basculement des eaux chaudes.

Ainsi, l’énergie thermique est transférée depuis le sous bassin occidental du Pacifique, qui agit comme un puits de chaleur, vers l’océan Indien via le passage de Timor. Ensuite, l’échange de chaleur s’exerce entre les deux hémisphères via le Somali et le courant de dérive de mousson, chacun d’eux s’inversant périodiquement en phase. L’onde annuelle alimente en une succession d’eaux chaudes et froides le courant de bord ouest constitué par l’Agulhas.

Par contre le Contre-Courant Equatorial ne fait pas partie de ce système, étant déphasé par rapport aux deux nœuds que sont le Somali et le courant de dérive de mousson. L’onde biannuelle équatoriale et ses subharmoniques fonctionnent donc de manière indépendante de l’onde annuelle qui, elle, se propage hors de l’équateur. Ces deux systèmes n’ont pas de nœud en commun, le premier produisant le Contre-Courant Equatorial et le second le Courant Sud Equatorial, puis les courants de dérive de mousson. Cette situation, qui est inédite dans le fonctionnement des océans tropicaux, met en lumière deux modes de bassin indépendants dans l’océan Indien.

Glossaire

Une onde stationnaire est le phénomène résultant de la propagation simultanée dans des directions différentes de plusieurs ondes de même fréquence. Une onde stationnaire forme une figure dont certains éléments appelés nœuds restent fixes, alternant avec les ventres. Une onde quasi-stationnaire se comporte comme une onde stationnaire mais les ventres et les nœuds peuvent se chevaucher.

Upwelling. Ici, ce terme indique une remontée d’eau profonde, donc froide. Le phénomène d’upwelling est associé au fonctionnement des ondes résonantes tropicales.

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