Océan Pacifique tropical

Comme l’océan Atlantique, le Pacifique est soumis à la résonance d’ondes équatoriales formées du premier mode barocline (vertical) des ondes de Kelvin, et du premier mode barocline, premier mode méridien des ondes de Rossby. Mais, tandis que sous l’effet du forçage résultant de la tension des alizés la résonance se produit à une fréquence d’un cycle par an dans l’océan Atlantique, en raison de la largeur du bassin, 17.760 kilomètres au lieu de 6.500, la période des ondes tropicales du Pacifique est nécessairement pluriannuelle. Le mode de bassin résonant produit le phénomène El Niño bien connu pour ses effets météorologiques à l’échelle planétaire (Pinault, 2015).

Sommaire

L’onde annuelle

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D’autre part une onde quasi-stationnaire annuelle est observable au nord de l’équateur entre les latitudes 0°N et 12°N. La représentation dynamique de l’onde quasi-stationnaire fait ressortir deux vagues à longues crêtes, presque en opposition de phase, qui s’étendent des côtes orientales de l’Asie du Sud-est à l’Amérique centrale, ce qui suggère qu’elles résultent du forçage résonant du premier mode barocline, quatrième mode méridien d’une onde de Rossby. Les modes méridiens font en effet apparaître un nombre croissant de bandes énergétiques zonales lorsque le mode augmente (une bande pour le premier mode, deux bandes pour le second et ainsi de suite).

Les nœuds sont les deux courants de surface zonaux au nord et au sud de l’équateur, c’est à dire entre 4,5°N et 7,5°N, formant le Contre-Courant Nord Equatorial, et entre 0°N et 4,5°S, formant le Courant Sud Equatorial. La période de ces courants modulés est d’un an, elle aussi. Le courant modulé sud équatorial alimente les courants de bord ouest, l’exutoire étant situé à proximité de l’équateur, c’est à dire au large des Moluques du Nord et des îles Sulawesi du nord dans l’archipel indonésien.

Evolution de l’onde quasi-stationnaire annuelle

Seule la mise en résonance d’un mode méridien élevé peut expliquer la structure en bandes de l’onde ainsi que les deux nœuds dont l’analyse révèle qu’ils n’en font qu’un, étant fortement corrélés. Les ventres sont principalement visibles dans l’hémisphère nord alors qu’ils devraient apparaître, de manière antisymétrique, dans l’hémisphère sud : seul le ventre le plus méridional est bien visible à l’ouest de 160°W, en phase avec le ventre le plus méridional dans l’hémisphère nord, car les alizés sont plus faibles au sud de l’équateur.

La longueur d’onde, qui est de 9 400 km, est inférieure à la largeur du bassin. La phase de l’onde quasi-stationnaire s’inverse donc à ses deux extrémités, ce qui peut expliquer la grande variabilité d’un cycle à l’autre de l’onde observée. Pour la réalisation représentée, la vitesse de la composante modulée du Contre-Courant atteint son maximum en Septembre-Octobre dans l’hémisphère nord, lorsqu’elle s’écoule vers l’est, en phase avec le Courant Sud Equatorial dans l’hémisphère sud.  Ceci se produit alors que l’eau chaude vient d’être transférée aux ventres les plus méridionaux dans chacun des hémisphères, puis, quelques mois plus tard au ventre le plus septentrional.

L’onde quadriennale

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La structure des ventres et des nœuds de l’onde quadriennale rappelle ce qui est observé dans l’Atlantique tropical (la représentation fréquentielle de la hauteur de la surface de l’océan et de la vitesse du courant géostrophique à proximité de l’équateur à l’ouest du bassin montre que la période est de l’ordre de 4 ans avec une variabilité très importante). Comme dans l’Atlantique, ce mode de bassin met en évidence un nœud principal là où le courant équatorial modulé s’étend dans la moitié ouest du bassin, deux ventres de part et d’autre de l’équateur à l’ouest du bassin et un ventre le long de l’équateur : le ventre central-oriental résulte de la superposition du premier mode barocline, premier mode méridien d’une onde de Rossby, et d’une onde de Kelvin, l’une et l’autre piégées par l’équateur, mais se propageant en sens opposé. Les ventres occidentaux d’une part et le ventre central-oriental d’autre part séparent le Pacifique en deux parties où la thermocline oscille presque en opposition de phase.

Le ventre au nord-ouest forme une boucle joignant les côtes orientales des Philippines centrale et méridionale, se superposant au Courant Nord Equatorial dans sa partie septentrionale, et chevauchant le Contre-Courant Nord Equatorial ainsi que le Courant Sud Equatorial dans sa partie méridionale. Une onde de Rossby, qui se réfléchit contre les côtes orientales de l’archipel indonésien, se propage le long de la boucle, portée par le Contre-Courant Nord Equatorial.

Le ventre du sud-ouest forme une langue s’étendant jusqu’aux côtes du nord-est de la Nouvelle Guinée, à travers les îles Salomon. Il provient lui aussi d’une onde de Rossby qui se réfléchit contre la Nouvelle Guinée, portée par le Courant Sud Equatorial.

Le nœud principal est la composante modulée du Courant Sud Equatorial coulant vers l’ouest en suivant l’équateur entre les latitudes 0°N et 8°S.

Evolution de l’onde quasi-stationnaire quadriennale

L’évolution des ondes quasi-stationnaires au cours d’un cycle peut s’exprimer par rapport à l’événement ENSO qui s’est produit au cours du cycle (Pinault, 2018b). La phase de propagation vers l’ouest de l’onde quasi-stationnaire le long de l’équateur débute lorsque la crête se réfléchit contre la côte sud-américaine, pendant le stade de maturité de l’événement ENSO. Elle dure près de deux ans au cours desquels la thermocline remonte le long du ventre central-oriental. A la fin de la phase de propagation vers l’ouest, le courant modulé principal, qui s’écoule alors vers l’ouest, atteint sa vitesse maximale et quitte partiellement la ceinture équatoriale pour alimenter les courants de bord ouest. En l’absence d’un Contre-Courant puissant au sud de l’équateur, ce qui interdit toute réflexion de la crête équatoriale vers le ventre du sud-ouest, l’onde résonante se réfléchit partiellement vers la boucle formant le ventre du nord-ouest. La propagation vers l’ouest de l’onde résonante le long de l’équateur stimule l’upwelling à la limite orientale du bassin, c’est à dire la côte sud-américaine, pendant que le creux de la vague se forme le long du ventre central-oriental. Ainsi, dans la partie centrale et orientale du bassin l’eau froide remplace progressivement l’eau chaude qui quitte la ceinture équatoriale.

Lorsque la phase est de ± 2 ans par rapport à l’événement ENSO, sous l’effet des alizés les ventres occidentaux forment une crête avec l’approfondissement de la thermocline de la « piscine d’eau chaude » jusqu’à une profondeur voisine de 250 m. La crête du ventre du nord-ouest ainsi que la vitesse du Contre-Courant Nord Equatorial, qui s’écoule vers l’est, atteignent leur maximum en même temps que le ventre du sud-ouest. Pendant ce temps, le creux s’approfondit au ventre central-oriental, ce qui stimule la migration de l’eau chaude depuis les ventres occidentaux, en remplacement de l’eau froide tandis que l’upwelling faiblit au large des côtes sud-américaines.

Comme dans l’océan Atlantique, le ventre du nord-ouest joue le rôle de « coulisse d’accord », mais le temps de propagation le long de la boucle est court par rapport à la période de l’onde quasi-stationnaire, de sorte que seul un réglage fin de la période intervient. Là encore, le ventre du sud-ouest joue le rôle de puits de chaleur.

Couplage des modes de bassin

Le fonctionnement de l’onde quasi-stationnaire quadriennale ne peut être dissocié de l’ENSO. En effet les événements El Niño se déclenchent à un moment bien précis du cycle de l’onde quasi-stationnaire, lorsque, à la fin de sa phase de propagation vers l’est, la crête atteint la côte occidentale d’Amérique du sud. Ces événements El Niño stimulent l’évaporation à la surface de l’anomalie équatoriale centrale-orientale, ce qui a pour but de refroidir la couche de mélange, et donc de remonter la thermocline. Aussi le phénomène ENSO constitue un mode de forçage de l’onde résonante puisqu’il stimule la propagation de la crête vers l’ouest. De plus le phénomène La Niña, qui marque la reprise de la circulation de Walker avec l’intensification de la tension des vents d’est, est également un mode de forçage puisque devenant effectif à la suite d’El Niño, donc pendant la phase de propagation vers l’ouest de la crête.

Si l’activité convective diminue dans le Pacifique Ouest, la circulation d’ouest en altitude diminue ou cesse ce qui coupe l’apport d’air froid dans le Pacifique Est et le flux de retour d’est de surface faiblit. L’opposée d’El Niño est La Niña. La convection dans le Pacifique Ouest augmente dans ce cas ce qui amplifie la cellule de Walker amenant de l’air plus froid le long de la côte de l’Amérique.

a) Le courant géostrophique observé au large du Cap d'Urville 137,5°E, 0,5°N. Les pointillés indiquent les différents événements ENSO à leur stade de maturité. Les flèches montrent l'accélération du courant associé à chacun des événements ENSO – b) le signal –SOI brut et filtré dans la bande 1,5-15 ans. Les événements ENSO se produisent aux maxima du signal filtré.
a) Le courant géostrophique observé au large du Cap d’Urville 137,5°E, 0,5°N. Les pointillés indiquent les différents événements ENSO à leur stade de maturité. Les flèches montrent l’accélération du courant associé à chacun des événements ENSO – b) le signal –SOI brut et filtré dans la bande 1,5-15 ans. Les événements ENSO se produisent aux maxima du signal filtré.

Toutefois les équations du mouvement montrent que ces forçages liés à l’ENSO ne suffisent pas à expliquer l’amplitude des ventres ainsi que la vitesse des courants modulés observés. Il faut donc invoquer un couplage entre le mode de bassin annuel et quadriennal. Les composantes modulées du Contre-Courant Nord Equatorial et du Courant Sud Equatorial, qui font partie intégrante de l’onde quasi-stationnaire annuelle, se confondent en effet avec le nœud principal de l’onde quasi-stationnaire quadriennale, le long d’une étroite bande équatoriale à l’ouest de 150°W. La situation particulière de l’île de Papouasie Nouvelle Guinée, à proximité de l’équateur, modifie les lignes des courants zonaux et des instabilités sont exacerbées le long d’une ligne étroite entre 136°E et 141°E de longitude et entre 0°N à 2°N de latitude.

Ces instabilités traduisent le rapprochement du Contre-Courant Nord Equatorial de l’équateur et l’amplification des accélérations du courant modulé commun aux deux modes de bassin. Au large du Cap d’Urville 137,5°E 0,5°N le Contre-Courant Nord Equatorial peut accélérer de 0 à 1,5 m/s en l’espace d’un mois, ce qui est considérable. Certaines de ces accélérations sont annonciatrices d’un événement ENSO. Dans ce cas le courant accélère rapidement vers l’est puis sa vitesse diminue avant de croître à nouveau, atteignant un maximum deux mois plus tard. Le courant géostrophique au large du Cap d’Urville est donc perturbé à un stade précoce du développement d’un événement ENSO, puis reprend sa vitesse initiale. Ceci se produit à 7 reprises de fin 1992 à mi 2015: les événements ENSO correspondants ont lieu en 08/1994, 11/1997, 12/2002, 12/2004, 12/2006, 11/2009 et 09/2012 (un événement est en cours de maturation en Juin 2015).

D’autre part ces instabilités anticipent le stade de maturation des événements ENSO de 4 à 6 mois, ce temps dépendant de la manière dont les anomalies thermiques de surface se développent au cours de l’évolution de l’ENSO. L’accélération du Contre-Courant Nord Equatorial et son rapprochement de l’équateur dans la partie occidentale du bassin stimule une onde de Kelvin barocline, traversant le bassin d’ouest en est en 2 mois, ce qui provoque un approfondissement de la thermocline dans la partie centrale-orientale du bassin. Les forces géostrophiques du bassin tropical font que deux ondes de Kelvin ne peuvent se succéder en moins d’un an et demi. C’est le temps minimum nécessaire pour qu’un cycle complet de l’onde quasi-stationnaire s’exécute, l’inclinaison le long de l’équateur de la surface de l’océan devant favoriser la propagation des ondes de Kelvin vers l’est. Par conséquent toutes les accélérations du courant, dont la période moyenne est 1 an, ne produisent pas une onde de Kelvin. C’est la raison pour laquelle certaines accélérations, même de grande amplitude comme celle de 2003, ne produisent pas d’événement ENSO. Dans ce cas les forces géostrophiques restent confinées à l’ouest du bassin.

Les périodes d’oscillateurs couplés

Appliquée au cas d’ondes océaniques, la théorie des oscillateurs inertiels couplés indique que les périodes moyennes des ondes couplées sont des multiples de la période moyenne de l’onde fondamentale, c’est à dire ici une année si on considère que le cycle des alizés constitue la référence temporelle du bassin tropical. L’onde quadriennale est en effet soumise au verrouillage en mode subharmonique de l’onde annuelle (Pinault, 2018c). Ceci reste vrai quelle que soit la variabilité des périodes d’un cycle à l’autre. Il en résulte que les périodes moyennes des deux modes de bassins sont exactement 1 et 4 ans. Cette dernière période est déterminée sans ambiguïté à partir de la distribution des événements ENSO.

Subharmonique de période 8 ans

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Un subharmonique de 8 ans de période moyenne présente trois ventres et un nœud principal, comme l’onde quasi-stationnaire quadriennale. Le ventre central-oriental s’étend entre 160°E et 130°W. Le ventre du nord-ouest est situé au large des Philippines contre lesquelles les ondes de Rossby se réfléchissent. Le ventre du sud-ouest, parallèle à l’équateur, s’étend de la côte Australienne orientale jusqu’à 130°W entre les latitudes 25°S et 20°S. Le fonctionnement de ce mode de bassin n’est pas sans rappeler celui du mode quadriennal. Le ventre central-oriental se forme dans le guide d’onde formé par l’équateur, le ventre du nord-ouest joue le rôle de la « coulisse d’accord » et le ventre du sud-ouest est un puits de chaleur.

Ce mode de bassin fait intervenir des ondes de Rossby et de Kelvin dont les vitesses de phase sont nécessairement plus faibles que celles du mode de bassin quadriennal: le deuxième mode barocline des ondes de Rossby et de Kelvin doit être invoqué. La vitesse de phase est de l’ordre de 1 m/s, c’est à dire inférieure de moitié à celle du premier mode barocline. Ce deuxième mode barocline (ou vertical) correspond non plus à l’oscillation de la thermocline, plus exactement de l’interface située à la base de la pycnocline, à la profondeur de 200 à 250 m, mais à l’oscillation de l’interface au sommet de la pycnocline, à la profondeur de 125 m.

Le nœud principal se confond avec celui du mode de bassin quadriennal à l’ouest de 170°E, ce qui fait que ce mode de bassin est couplé aux deux précédents de 1 et 4 ans de période: sa période moyenne est donc de 8 ans en raison du verrouillage en mode subharmonique. Ce mode participe à l’ENSO à un degré moindre que le mode quadriennal car le ventre central-oriental interfère peu avec les courants froids à l’est du bassin.

De cette manière, l’exutoire du Pacifique tropical, là où les courants de surface modulés quittent le bassin pour alimenter les courants de bord ouest, est commun aux trois modes de bassin. Ainsi l’océan Pacifique se distingue de l’océan Atlantique, en raison de la superposition de puissants courants modulés de 1, 4 et 8 ans de périodes moyennes à la sortie du bassin tropical.

Glossaire

Une onde stationnaire est le phénomène résultant de la propagation simultanée dans des directions différentes de plusieurs ondes de même fréquence. Une onde stationnaire forme une figure dont certains éléments appelés nœuds restent fixes, alternant avec les ventres. Une onde quasi-stationnaire se comporte comme une onde stationnaire mais les ventres et les nœuds peuvent se chevaucher.

Upwelling. Ici, ce terme indique une remontée d’eau profonde, donc froide. Le phénomène d’upwelling est associé au fonctionnement des ondes résonantes tropicales.

Dans un milieu homogène, la propagation dans une direction donnée d’une onde monochromatique (ou sinusoïdale) se traduit par une simple translation de la sinusoïde à une vitesse appelée vitesse de phase ou célérité. Dans un milieu non dispersif, cette vitesse ne dépend pas de la fréquence (ou de la longueur d’onde). Dans ce cas toute onde complexe somme de plusieurs ondes monochromatiques subit aussi une translation globale de son profil, ceci sans déformation. Au contraire, dans un milieu dispersif la vitesse de phase dépend de la fréquence et l’énergie transportée par l’onde se déplace à une vitesse inférieure à la vitesse de phase, dite vitesse de groupe.

SOI (Southern Oscillation Index). Le SOI est l’amplitude de l’Oscillation australe ; c’est une mesure de la variation mensuelle de la différence de pression atmosphérique de surface normalisée entre Tahiti et Darwin (Australie).

Les courants géostrophiques sont établis à partir des mesures du vent, de la température ainsi que de l’altimétrie par satellite. Le calcul utilise un modèle géostrophique quasi-stationnaire tout en intégrant une composante résultant de la tension des vents. Le courant géostrophique ainsi obtenu est moyenné sur les 30 premiers mètres de l’océan.

Circulation de Walker, El Niño, La Niña. Sous les tropiques, la circulation directe de l’air en surface vers l’équateur (nommée cellule de Hadley) forme la zone de convergence intertropicale. La force de Coriolis est faible à ces latitudes mais assez pour créer une déviation vers l’ouest de la circulation créant les Alizés (du nord-est dans l’hémisphère nord et du sud-est dans celui du sud). Le courant de Humboldt, venant de l’Antarctique, refroidit la côte de l’Amérique du Sud. Il y a donc une grande différence de température entre l’Ouest et l’Est Pacifique qui donne lieu à une circulation directe semblable à celle de Hadley (les masses d’air s’élèvent près de l’Asie et de l’Australie et descendent le long de la côte de l’Amérique du Sud).

L’onde quasi-stationnaire fondamentale est en phase avec le forçage. Dans les tuyaux sonores, les cordes et les membranes vibrantes se forment des harmoniques dont la période est un diviseur de celle de l’onde fondamentale. Pour ce qui concerne les longues vagues océaniques, il se forme des subharmoniques dont la période est un multiple de celle de l’onde fondamentale comme ceci se produit pour les modes baroclines d’ordre élevé.