Forçage radiatif

Sommaire

Les cycles solaires

Les variations de l’irradiance solaire sont reflétées par le nombre de taches solaires, ce que des mesures récentes par satellite confirment. Ce nombre de taches, qui est connu avec précision depuis le 17ème siècle, montre que l’irradiance solaire oscille principalement dans 4 bandes. Elles portent le nom de cycle de Schwabe de 9-13 ans, le cycle de Jupiter – Saturne de 59 ans, le cycle de Gleissberg de 90-110 ans et le cycle de DeVries et Suess de 180-220 ans. Les isotopes cosmogéniques  confirment l’existence de ces cycles solaires ainsi que d’autres, plus longs, comme le cycle de Hallstattzeit de 2.300 ans.

Le cycle de 59 ans résulte du déplacement du centre de gravité du système solaire par rapport au centre du soleil, en relation avec les périodes de rotation des plus grosses planètes que sont Jupiter et Saturne. Le cycle de Gleissberg, qui fut découvert en 1958, est probablement une modulation d’amplitude du cycle de Schwabe de 11 ans qui, lui, résulte de la rotation différentielle de la zone de convection du soleil, induisant périodiquement une déformation suivie d’une consolidation des tubes de flux magnétiques. L’origine des cycles de plus longue période n’est pas connue avec certitude.

Irradiance solaire totale: données brutes (IST) et filtrées dans la bande 576-1152 ans.
Irradiance solaire totale: données brutes (IST) et filtrées dans la bande 576-1152 ans.

La compréhension de la variation temporelle du rayonnement cosmique et de l’activité solaire au cours de l’Holocène permet de préciser la relation soleil-terre. Dans la série obtenue par Steinhilber et al., [2012] différentes valeurs de 10Be obtenues dans les carottes de glace du Groenland et de l’Antarctique sont combinées avec les enregistrements du 14C des cernes afin de reproduire les variations de l’irradiance solaire totale (W/m2).

Représentation fréquentielle de l'irradiance solaire totale. Le spectre est large, avec un pic centré sur 935 ans. Les hautes fréquences (périodes courtes) sont filtrées.
Représentation fréquentielle de l’irradiance solaire totale. Le spectre est large, avec un pic centré sur 935 ans. Les hautes fréquences (périodes courtes) sont filtrées.

Les derniers millions d’années ont été ponctués par de nombreuses transitions climatiques brusques. Beaucoup d’entre elles se produisent sur des échelles de temps de l’ordre du siècle, voire de quelques décennies. La faculté du climat à changer brusquement a été l’une des découvertes les plus surprenantes au cours de l’étude de l’histoire de la terre [par exemple, Jouzel et al 1987, Taylor et al 1993; Petit et al 1999, Dansgaard et al 1993; Alley, 2000, Jouzel et al 2007].

Les changements climatiques à l’échelle planétaire sont des réponses aux mécanismes de forçage externes. Le rôle du soleil dans la variabilité du climat, et plus spécialement les fluctuations de l’irradiance solaire qui reflètent la dynamique interne du soleil ainsi que le forçage orbital qui modifie le bilan radiatif net de la terre, sont fréquemment cités [par exemple Magny, 1993, Karlén et Kuylenstierna, 1996, Chambers et al., 1999, Bond et al., 2001, Gavin et al., 2011]. Néanmoins, les mécanismes internes impliqués dans la variabilité climatique à long terme sont mal compris. L’idée souvent mentionnée selon laquelle l’océan profond est le seul candidat pouvant commander le changement climatique à long terme (des centaines de milliers année) en raison de son volume, de sa capacité calorifique, et de son inertie [par exemple Maslin et al, 2001], peut facilement être contrecarrée à la lueur des présents résultats. En effet, la variation du débit et de la température de l’eau profonde, qui est reconnue pour avoir un effet direct sur le climat global, est une conséquence d’un mécanisme de portée beaucoup plus large impliquant la résonance des gyres océaniques subtropicaux.

Les cycles de Milankovitch

Milutin Milankovitch, d’origine serbe, fut à la fois astronome, géophysicien et climatologue. En 1911, Milankovitch s’intéresse aux périodes glaciaires du pléistocène, époque géologique allant de 1,8 millions d’années à 11.500 ans avant notre ère. Elle fut caractérisée par des glaciations prolongées, les glaciers couvrant les continents, interrompue par des périodes interglaciaires courtes, au climat tempéré. Milankovitch établit une théorie mathématique du climat. Dans ses calculs, il inclut des informations sur de petites variations de l’inclinaison de l’axe de la terre, et sur de petits changements orbitaux provoqués par la gravité d’autres planètes, Jupiter et Saturne essentiellement, chacune de ces variations orbitales ayant une période bien déterminée. Milankovitch proposa que les changements dans l’intensité du rayonnement solaire reçu par la terre soient dus à trois facteurs fondamentaux: l’excentricité dont la période est de 413.000 et 100.000 ans, l’inclinaison avec une période de 41.000 ans et la précession avec des périodes de 23.000 et 19.000 ans. Les tables qu’il dressa son toujours d’actualité, confirmées par des calculs plus récents.

À partir de 1976, l’examen des carottes océaniques profondes confirme la théorie de Milankovitch. On peut reconstituer les variations du volume de glace en employant des mesures des isotopes de l’oxygène dans la calcite des coquilles de foraminifères. En effet, les variations en 18O de l’eau de mer peuvent être corrélées aux variations de volume des glaces. Pendant la période glaciaire, le niveau de la mer était à 130 m sous le niveau actuel. En conséquence l’18O de l’océan était à +1,5 pour mille de ce qu’il est aujourd’hui. La mesure de l’18O dans les coquilles de foraminifères permet donc de reconstruire les variations du volume de glace à l’échelle des millions d’années. C’est ainsi que le climat a pu être reconstitué sur une période de 5,3 millions d’années en alignant, grâce à un algorithme de corrélation graphique respectant les contraintes relatives aux taux de sédimentation, plus de 50 carottes prélevées des abysses des trois océans.

Le forçage orbital

La mise en perspective de la variabilité climatique et du forçage orbital, c’est à dire la précession, l’obliquité et de l’excentricité, ce que l’on appelle communément les paramètres de Milankovitch, pose d’énormes problèmes et il n’existe actuellement aucun consensus autour du mécanisme responsable. D’une part, l’impact des variations orbitales sur le climat ne semble pas proportionnel à l’amplitude des variations de l’irradiance solaire. D’autre part, au cours des 800.000 dernières années, la période d’oscillation glaciaire – interglaciaire qui a dominé est 100.000 ans, montrant qu’elle est principalement soumise au paramètre de l’excentricité. Pendant l’intervalle de 3,0 à 0,8 millions d’années avant notre ère, la période de 41.000 ans a prévalu, correspondant aux variations de l’obliquité de la terre, ce qui est nommé le problème de transition.

Représentation fréquentielle des trois composantes du forçage orbital - a) Chaque composante est normalisée - b) Spectre réel.
Représentation fréquentielle des trois composantes du forçage orbital – a) Chaque composante est normalisée – b) Spectre réel.

Les observations donnent à penser qu’un phénomène de résonance se produit, filtrant certaines fréquences au profit d’autres. Cette hypothèse, émise depuis plusieurs décennies, n’a trouvé jusqu’à présent aucune explication physique plausible. Cela suggère a priori que la résonance gyrale est le chaînon manquant pour résoudre cette énigme. En effet, il existe un lien entre le forçage orbital et l’amplitude des longues ondes baroclines autour des gyres.

En raison du verrouillage en mode subharmonique des oscillateurs couplés avec inertie, les périodes des ondes de Rossby gyrales forcées par les cycles de Milankovitch sont un multiple des périodes plus courtes qui correspondent aux cycles du rayonnement solaire (Pinault, 2018c). Ainsi, les subharmoniques forment une séquence dont les périodes moyennes sont des multiples de 768 ans, soit la période dominante de la résonance gyrale au cours de l’Holocène. Mais, contrairement à ce qui se produit au cours de l’Holocène, les bandes de fréquence étroites du forçage orbital compliquent l’interprétation du couplage en raison de l’écart entre les fréquences de forçage et les fréquences propres des ondes de Rossby gyrales.

Pour accorder la fréquence propre des ondes de Rossby gyrales à la fréquence de forçage sans modifier le nombre d’onde, la latitude du centroïde doit être modifiée. Puisque plusieurs composantes accordées sur leur propre fréquence orbitale coexistent, des instabilités se produisent autour du gyre parce que les conditions de résonance ne sont plus remplies avec précision. De cette manière, l’efficacité du forçage dépend de la latitude des centroïdes des différentes ondes de Rossby gyrales, qui oscillent de part et d’autre de leur valeur moyenne.

Les enregistrements des carottes de glace et de sédiment permettent une étude détaillée de l’ère glaciaire-interglaciaire dans les différentes bandes caractéristiques.

Les origines de l’oscillation glaciaire-interglaciaire à partir des cycles de Milankovitch peuvent être comprises à partir de ces deux cas extrêmes:

1) pour l’apparition d’une période interglaciaire, une configuration orbitale extrême résulte d’une forte excentricité (l’orbite de la terre est une ellipse), d’une inclinaison forte et d’une faible distance terre – soleil en été. Il s’ensuit des saisons très contrastées, donc un réchauffement car la variable principale est la quantité de rayonnement reçue en été aux hautes latitudes de l’hémisphère nord.

2) au contraire, pour la période glaciaire l’orbite de la terre est quasi circulaire (excentricité faible) avec une faible inclinaison et une grande distance terre – soleil en été. Il en résulte un faible contraste saisonnier et une configuration favorable à un refroidissement.

Sur des échelles de temps plus longues, des carottes de sédiments montrent que les cycles de périodes glaciaires et interglaciaires sont des épisodes d’une longue ère glaciaire qui a commencé avec la glaciation de l’Antarctique il y a environ 40 millions d’années. Toutefois ces cycles glaciaires et interglaciaires ont débuté principalement il y a environ 3 millions d’années avec la croissance des calottes glaciaires continentales dans l’hémisphère Nord. Au cours de la période s’étendant de 3,0 à 0,8 millions d’années avant notre ère, la période de 41.000 ans prime, correspondant à l’évolution de l’inclinaison de la terre. Au cours des 800.000 dernières années, la période de l’oscillation glaciaire – interglaciaire qui domine est de 100.000 ans, correspondant à l’évolution de l’excentricité de la terre, qui est pourtant de plus faible amplitude qu’est l’obliquité.

Efficacité du forçage radiatif

Une propriété des plus surprenantes du forçage radiatif, exprimé en W/m2, est la variabilité de son efficacité, c’est-à-dire de son impact sur la température globale terrestre, exprimée en °C, selon les périodes considérées. L’application de la loi de Stefan-Boltzmann nous indique que, si l’on considère que notre planète se comporte comme un corps noir, c’est-à-dire que son spectre d’émission dans l’infrarouge ne dépend que de sa température, l’efficacité du forçage solaire est 0,22 °C/(W/m2). Pourtant cette efficacité peut augmenter de manière considérable puisque les archives du climat nous enseignent qu’elle peut atteindre 5 °C/(W/m2) dans la bande 73.7-147.5 103 ans lors des périodes glaciaires-interglaciaires, une conséquence du forçage orbital.  D’autre part, égale à 1,5 °C/(W/m2)  dans la bande 576-1152 ans au début de l’Holocène en raison du forçage solaire, elle est de 0.5 °C/(W/m2) de nos jours.

Une telle variation de l’efficacité du forçage radiatif suppose une boucle de rétroaction positive du système climatique car la variabilité des radiations de courte longueur d’onde incidentes est beaucoup trop faible pour impacter de la sorte la température globale. Pour expliquer le caractère résonant du système climatique, il faut faire intervenir les océans au travers de la réponse modulée des gyres subtropicaux (Pinault, 2018d). L’effet amplificateur du forçage solaire et orbital provient alors de la rétroaction positive exercée par le courant polaire de l’onde de Rossby gyrale : l’oscillation de la thermocline est amplifiée par le courant polaire qui s’échauffe, ou se refroidit, selon que le courant de bord ouest accélère ou ralentit. L’amplification est étroitement contrôlée car limitée par la capacité de l’eau de mer à se réchauffer aux basses latitudes et par le refroidissement résultant de l’upwelling le long du courant de bord est du gyre.

Ainsi, l’effet amplificateur du forçage solaire et orbital montre que le transfert de chaleur de l’équateur vers les pôles se fait avec plus ou moins d’efficience. L’accélération ou, au contraire, le ralentissement du courant polaire de l’onde de Rossby gyrale impacte les anomalies de température de surface de la mer, principalement aux hautes latitudes des gyres subtropicaux. Ces anomalies thermiques agissent soit comme une source de chaleur, soit au contraire comme un puits de chaleur. La perturbation qui en résulte se comporte comme un système thermodynamique isolé : des transferts thermiques entre les océans et les continents se produisent jusqu’à ce qu’un équilibre s’établisse entre les anomalies océaniques et continentales.

Le phénomène d’amplification est d’autant plus important que la température de surface de la mer aux hautes latitudes est plus basse, ce qui a la propriété d’augmenter la rétroaction. Ainsi l’efficacité du forçage dépend de l’avance de la banquise dans chacun des hémisphères, ce qui explique son évolution au cours de l’Holocène. En ce qui concerne le forçage orbital dont la largeur de bande est étroite, son efficacité dépend étroitement de la différence entre la période du forçage et la période propre de l’onde de Rossby gyrale. C’est ainsi qu’au cours de la période s’étendant de 3,0 à 0,8 millions d’années avant notre ère, la période de 41.000 ans prime, correspondant à l’évolution de l’inclinaison de la terre. Au cours des 800.000 dernières années, la période de l’oscillation glaciaire – interglaciaire qui domine est de 100.000 ans, correspondant à l’évolution de l’excentricité de la terre.

Glossaire

Les isotopes cosmogéniques sont produits par les rayons cosmiques dans la haute atmosphère, formant des isotopes rares de l’hydrogène (3H) et son produit l’hélium (3He), du béryllium (10Be), du carbone (14C), du néon (21Ne), de l’aluminium (26Al), et du chlore (36Cl). Leur abondance isotopique reflète l’activité solaire: en période de forte activité les rayons cosmiques sont déviés du système solaire et produisent donc moins d’isotopes cosmogéniques.

Relation entre δ18O des Foraminifères benthiques et volume de glaces polaires

La glace des calottes polaires est appauvrie en H2 18O de 30 à 40 ‰ (δ18O ~ – 40 ‰ = – 4 %) environ par rapport à l’eau des océans. En effet, la vapeur d’eau transportée des plus basses latitudes vers les pôles subit un fractionnement isotopique (appauvrissement en 18O, isotope lourd de l’oxygène constitué essentiellement d’16O) lors des condensations successives, de façon d’autant plus importante que la température diminue. Comme la quantité totale de H2 18O (océans + calottes) est constante, plus les calottes sont volumineuses (à δ18O constant), plus l’eau de mer est, par différence, concentrée en H2 18O. Le volume des calottes et δ18O de la mer varient donc dans le même sens, proportionnellement.

Relation entre δ18O des océans et δ18O des Foraminifères benthiques

Les Foraminifères benthiques sont des Protozoaires qui vivent au fond des océans et synthétisent une coquille carbonatée dont la composition isotopique dépend de la température de l’eau et du δ18O de l’eau. Comme la température de l’eau varie peu à grande profondeur, les variations du δ18O des coquilles ne dépendent plus que de celles de l’eau.

Upwelling. Ici, ce terme indique une remontée d’eau profonde, donc froide. Le phénomène d’upwelling est associé au fonctionnement des ondes résonantes tropicales.

Onde barocline. Par opposition aux ondes barotropes qui se meuvent parallèlement aux isothermes les ondes baroclines de Rossby ou de Kelvin provoquent un déplacement vertical de la thermocline, souvent de l’ordre de plusieurs dizaines de mètres. Les secondes sont généralement plus lentes que les premières.